Bonjour à tous !
Pas de Jeudredi cette semaine : j’ai eu le malheur de me plonger dans l’histoire de la cinquième République, et ce que j’y ai trouvé m’a tellement passionné que j’ai décidé d’en faire un article d’opinion.
Il est possible que je ne garde que ce format de texte dans le futur : un sujet d’actualité approfondi, sur lequel j’appelle à la réflexion. Une version de Jeudredi plus dense, mais moins large. Dites-moi ce que vous en pensez !
Bonne lecture.
Je dînais chez mon père mardi soir, et, désireux de détendre l’atmosphère après que mon petit frère eut lancé un énième « wesh, y’en a marre de manger de la brandade de morue », je me hasardais à demander :
« Pensez-vous que la cinquième République soit à bout de souffle ? »
Et bien qu’il semble que j’eus grandement surestimé la capacité de cette question à apaiser les esprits, elle eut au moins le mérite de faire taire mon petit frère, qui se dédia entièrement à la dégustation de sa brandade, et de plonger ma belle-mère et moi dans un débat passionnant.
Un débat sur lequel j’aimerais donner ici mon opinion, en espérant que celle-ci vous invite à réfléchir sur l’état de notre démocratie.
Une constitution en fin de course ?
Face à l’impossibilité de trouver un consensus parlementaire sur le texte de la réforme des retraites et au passage en force du gouvernement par 49.3, le débat de savoir si la cinquième République est toujours à même d’organiser le gouvernement démocratique de la nation refait surface.

Ses détracteurs dénoncent un pouvoir vertical, une monarchie présidentielle au penchant autoritaire, un système mal adapté aux évolutions sociétales et politiques : les institutions ne s’accordent plus à la modernité.
Ses défenseurs pointent vers sa stabilité, son aptitude à outrepasser les blocages politiques et renvoient la faute à la proposition politique : les hommes n’ont plus l’envergure des institutions.
Pour éclairer ce débat, il est essentiel de comprendre le contexte de la création de la cinquième République et ses particularités.
Pourquoi parle-t-on de crise de la démocratie ?
Situons le débat.
Dans le contexte de la réforme des retraites, la “crise de la démocratie” se traduit par la déconnexion entre la volonté du peuple, s’exprimant dans la rue et représentée dans l’hémicycle, et la politique suivie par l’exécutif, usant d’outils constitutionnels pour passer en force.
De manière plus générale, on peut noter le désintérêt de la politique, l’abstentionnisme électoral, l’affaiblissement des partis, la défiance du peuple envers les élites et les institutions, la crise de la représentation, le chamboulement du paysage politique, et la remise en question de la légitimité du président élu, comme autant de symptômes d’une démocratie qui va mal. Une situation qui s’inscrit dans un contexte de profonds bouleversements sociétaux, avec (i) l’avènement des réseaux sociaux, créant un nouveau rapport à l’information et assujettissant l’opinion à la désinformation et à la polarisation ; et (ii) des remises en question de la démocratie comme modèle capable d’apporter une réponse aux crises sanitaire, terroriste, et climatique, et capable d’endiguer la montée des régimes autoritaires.
La Vème République se trouve donc doublement questionnée : dans quelle mesure est-elle responsable de cette crise, et peut-elle nous en sortir ?
La Vème République, ou l’esprit d’unité
1958 - Depuis 11 ans, le pays est plongé dans une forte instabilité. Le régime parlementaire de la IVème République est en proie à des crises successives : des partis politiques éclatés se livrent une guerre de pouvoir, une majorité politique stable peine à se constituer et à maintenir un gouvernement au pouvoir. Les crises ministérielles s’enchaînent : 24 gouvernements se succèdent entre 1947 et 1958. Alors que la guerre en Algérie a éclaté 4 ans auparavant, cette instabilité empêche le gouvernement d’en sortir. La nation se tourne alors vers le Général de Gaulle, l'homme providentiel du 18 juin, à qui l’on confie la mission de rédiger une nouvelle constitution.
Cette constitution répondra à un impératif : assurer la stabilité gouvernementale. Pour ce faire, on “rationalise” le pouvoir du parlement en plaçant au-dessus un président arbitre, disposant de pouvoirs propres permettant au gouvernement d'assurer sa mission même en l'absence d'une majorité parlementaire stable. Ce président verra la primauté de sa légitimité confirmée en 1962 lorsque le référendum qui établit son élection au suffrage universel direct est adopté : le Président devient ainsi la clé de voûte du système politique, et le régime devient semi-présidentiel, à la croisée entre régime parlementaire et régime présidentiel.
☝️ Dans un régime parlementaire, le parlement est l’organe dominant de la vie politique, car le premier ministre (l'homme fort de l'état) est issu de la majorité parlementaire et peut être destitué par cette même majorité. En cas d'instabilité parlementaire (par exemple, à cause de divisions entre partis et au sein des partis), les gouvernements sont sans cesse destitués et il devient très dur de gouverner.
Comprendre la Vème République nécessite d’aller au-delà de l’impératif à laquelle elle répondait et de se pencher sur son “esprit”.
Nous avons fait, j'ai proposé au pays de faire la Constitution de 1958, après les drames que vous savez et dans l'intention - que d'ailleurs j'avais annoncée de la façon la plus formelle et la plus publique - de mettre un terme au régime des partis. Il s'agissait d'empêcher que la République, l'État, fût, comme il l'était avant, à la discrétion des partis. C'est dans cet esprit que la Constitution a été faite, et c'est dans cet esprit que je l'ai proposée au peuple, qui l'a approuvée.
L’esprit de la constitution était donc de placer à la tête de l’État un homme fort qui rassemblerait les Français autour des intérêts nationaux, et dont la légitimité - émanant du peuple - transcenderait les intérêts partisans.
La France, c'est tout à la fois, c'est tous les Français. C'est pas la gauche, la France ! C'est pas la droite, la France. […] Prétendre faire la France avec une fraction, c'est une erreur grave, et prétendre représenter la France au nom d'une fraction, cela c'est une erreur nationale impardonnable.
Ainsi se dessine une certaine vision des institutions et de l’espace politique : d’un côté, un peuple uni et fort représenté par le président, garant de l’intérêt général ; de l’autre un parlement fragmenté où luttent les partis, représentant des intérêts privés. Une primauté du peuple sur l’assemblée confirmée par l’utilisation fréquente du référendum par le Général de Gaulle.
Cette vision comporte en son sein une tension évidente : à un peuple uni s’opposent des représentants du peuple divisés. En n’admettant pas l’existence d’une opposition au sein du peuple, de Gaulle refuse mécaniquement de composer avec elle. La cinquième s’est donc construite avec comme caractéristique l’absence de recherche de compromis. Pour de Gaulle, les compromis parlementaires de la IVème étaient synonymes de paralysie :
Mais même en dehors de ces brutales démonstrations, personne, en vérité, ne doutait qu'un pouvoir qui était à la discrétion des partis, qui se paralysait dans les compromis, et qui s'absorbait dans ses propres crises, personne ne doutait qu'il fut incapable de mener les affaires de notre pays.
Le Général supposait que le chef de l’État dirigerait toujours à la tête d’une majorité législative, transformant ainsi le parlement en chambre d’enregistrement des volontés gouvernementales, où l’opposition, dénuée de pouvoir, serait dans une position constante de blocage. Les historiens parlent ainsi de « monarchie républicaine » et de « tradition autoritaire » française : le législatif se subordonne à l’exécutif.
Implications à la lecture des enjeux actuels
La Vème République est donc née dans un contexte bien particulier. Et si l’impératif à laquelle elle répondait a bien été satisfait (assurer de la stabilité), force est de constater que son efficacité a été remise en question par l’évolution de la réalité politique.
Le suffrage universel a déplacé la lutte partisane du parlement à la présidence. Ainsi, le président est devenu le candidat d’un parti, ne rassemblant plus tous les Français. Sa légitimité s’en est trouvée amoindrie - très forte à la suite de l’élection, elle décline rapidement à mesure que la réalité de la base électorale du candidat se rappelle à lui (votes de barrage et report de voix constituent une part de son électorat). Cette perte de légitimité se traduit par un vote de défiance aux prochaines élections législatives, qui découlent sur une majorité relative où une cohabitation. Ces deux organisations de la vie politique affaiblissent la gouvernance du pays, l’une incitant au passage en force (49-3, ordonnances), l’autre plongeant le pays dans l’immobilisme.
Disons le clairement : la cinquième République a été pensée pour une réalité politique qui n’existe plus, et qui n’a d’ailleurs que très brièvement existé. Car même si de nombreux présidents ont bénéficié de majorité au parlement, aucuns, depuis le Général, n’ont rassemblé le peuple comme il sut le faire. Le costume, taillé par et pour de Gaulle, est trop grand pour ses successeurs.
Mais alors, pourquoi une crise aujourd’hui, et pas il y a 10, 20, ou 30 ans ? Je pense que l’élément déclencheur est l’éclatement du diptyque gauche-droite.
Tant que la vie politique Française était structurée autour de deux pôles s’inscrivant dans un même cadre idéologique (capitalisme (néo)libéral) l’absence de consensus n’empêchait pas le pays d’avancer avec un cap clair - la France avançait simplement plus à gauche, ou plus à droite, au gré des alternances. L’unité était idéologique. Or l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir a complètement restructuré le paysage politique Français. On assiste à double remise en question : de l'idéologie néolibérale par la nouvelle gauche, et des représentants de cette idéologie par la nouvelle droite. L’unité idéologique qui faisait tenir le pays a volé en éclat, bien aidée par le bouleversement de l’espace publique avec l’avènement d’internet et des réseaux sociaux, et les crises économiques, sociales et écologiques des dernières années.
Une constitution toujours adaptée aux réalités de l’époque ?
Les défenseurs de la cinquième République mettent en avant sa résilience et sa capacité à faire avancer le pays. Et comme l’illustre ce qu’il se passe actuellement avec la réforme des retraites, c’est en grande partie vrai : le chef de l’État dispose d’outils pour faire avancer l’hexagone à marche forcée, n’en déplaise à 70% du peuple. Dans un monde qui s’accélère et où les défis se densifient (bouleversement climatique, montée des régimes autoritaires, remise en cause de la mondialisation,du néolibéralisme, avènement des nouvelles technologies et autres changements de paradigmes), cette capacité à avancer fermement avec un cap défini est essentielle.
Mais le problème auquel nous faisons face aujourd’hui est que nous n’avons pas de cap. La société est divisée en trois pôles aux visions du monde antinomiques et irréconciliables (antilibéral, libéral, identitaire). Or, pour espérer relever les défis auxquels nous faisons face, il faut déjà savoir où l’on veut aller. Avancer à marche forcée alors que personne n’est d’accord sur la direction à prendre n’a aucun sens. Malheureusement, pour créer du dialogue et retrouver un projet commun, la cinquième République semble être très mal adaptée.
Pour une VIème République
Au risque de me répéter : l’enjeu n’est pas tellement de savoir si la Vème République est une bonne ou mauvaise constitution — si le peuple était uni, elle fonctionnerait probablement très bien. L’enjeu est de savoir si elle est capable de recréer en son sein l’unité essentielle à son fonctionnement. Et dans l’état actuel des choses, je ne vois pas comment elle le peut : la politique est redevenue le jeu des partis, les uns populistes, les autres bien-pensants, qui instrumentalisent le débat et les institutions en vue des prochaines élections. La réforme des retraites ne le montre que trop bien : les manifestations, blocages, et passages en force sont instrumentalisés pour déstabiliser le camp adverse.
La cinquième République est à bout de souffle parce que la société l’est également. Une discussion sur le changement du fonctionnement de nos institutions serait l’occasion parfaite de redonner de l’air au peuple, de l’inciter à se retrouver pour définir démocratiquement quel cap il souhaite prendre, d’apporter une réponse à ses nouvelles aspirations. Redonner du pouvoir au parlement ; y impliquer plus les citoyens pour réduire les jeux partisans ; instaurer un mandat parlementaire plus collectif ; sont des choses qui pourraient redynamiser la vie politique française. Le costume de président est aujourd’hui trop étriqué pour les aspirations du peuple, laissons-les s’exprimer autrement.
Il faut cependant éviter de tomber dans l’idéalisme : trouver de l’unité est loin d’être une tâche acquise. La France a toujours eu une tradition autoritaire et n’a jamais aimé le compromis. Les divisions de la société sont très importantes, et exposer les institutions, jusqu'ici stables, à ses divisions est évidemment risqué. Mais préférer ne rien faire, c’est penser que la société se soignera d’elle-même, et qui le croit encore? Ma belle-mère, peut-être : elle attend le retour d’un grand homme (ou femme), capable de rassembler le peuple autour d’un projet. J’en doute, sûrement désillusionné par l’attitude de notre président actuel, en qui une partie de moi voyait cette figure providentielle.
En l’absence de grande figure, je pense que c’est au peuple de se prendre en main : honorons le Général de Gaulle et sortons la politique du jeu politique. Refondons nos institutions pour qu’elles répondent à la nature actuelle du peuple français — meurtri par un déclin démocratique et un sentiment de déclassement dans un monde de plus en plus complexe — tout en continuant à répondre aux exigences de notre époque — la résolution de défis immenses dans un monde qui s’accélère.
Par conséquent, il me semble qu'il y a, depuis 5 ans, une réussite constitutionnelle, et j'en attribue, pour ma part, la raison, essentiellement, à ceci : que nos institutions répondent aux exigences de notre époque, qu'elles répondent aussi à la nature du peuple français, et à ce qu'il souhaite réellement.
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