💡 Long Format #2 - La Démocratie (2/2)
Deuxième partie : la naissance de la République démocratique
Bienvenue dans cette deuxième partie du long format sur la démocratie ! Il y a deux semaines, nous avons montré que :
La démocratie est née d’une crise politique et sociale qui frappait la Grece antique. Une crise qui trouve une résonance frappante dans les évènements actuels
La démocratie se caractérisait par l’exercice direct de la volonté populaire, et le tirage au sort.
Ces caractéristiques sont absentes des démocraties modernes, ce qui nous amène à poser trois questions :
Pourquoi les pères fondateurs des démocraties Américaines et Françaises se sont écartés des principes de la démocratie antique ?
Qu’est-ce que cette volonté d’éloignement nous apprend sur la philosophie de notre système actuel ?
Peut-on réellement dire de notre mode de gouvernement qu’il est l’autorité (kratos) du peuple (dêmos) ?
Des questions auxquelles nous allons tenter de répondre aujourd’hui.
Comme le développement est long, vous trouverez un résumé ci-dessous. La conclusion reste en fin d’article, et nous vous recommandons bien évidemment le texte complet.
Bonne lecture.
tl;dr
Les mouvements révolutionnaires en France et aux Etats-Unis avaient une conception extrêmement négative de la démocratie, dans une vision toute droite empruntée à celle des grands philosophes antiques : c'est une tyrannie odieuse, instable, corruptible des pauvres sur les riches. Pour eux, le gouvernement idéal était le gouvernement républicain : un modèle aristocratique qui équilibrait les intérêts et les pouvoirs, en plaçant les plus vertueux à la tête de l'État. Mais alors que les deux révolutions font rage, les élites révolutionnaires doivent se battre sur deux fronts. D’un côté, elles font face aux royalistes désireux de limiter les pouvoirs de l'assemblée. De l’autre, elles s’opposent aux mouvements populaires qui demandent plus d’égalité politique et économique. De ce double combat naît l’idée de la démocratie représentative. Moins radical, l'utilisation de terme permet tout de même d'atténuer la rage populaire. Bien que sans arrêt contestée, cette nouvelle définition va doucement infuser dans les sociétés américaine et française au sortir des deux révolutions. C’est avec le développement de la classe ouvrière et l’extension du droit de vote que la nouvelle démocratie devient un vrai outil de propagande politique. Un outil repris par les hommes politiques de tous bords, qui se revendiquent désormais tous démocrates. La Démocratie perd ainsi sa mauvaise connotation et s’adosse à la République comme idéal de gouvernement.
À l’origine : un mode de gouvernement détesté
🏛 La perspective des penseurs antique
Nous avons vu dans la première partie comment s’est formée la démocratie et quelles en étaient les caractéristiques.
Mais comme nous allons le voir, les grands penseurs antiques ne voyaient pas forcément cette forme de gouvernement d’un très bon œil.
Pour Platon, la cité parfaite est une cité où chacun est placé selon son mérite, et où le savoir, la raison, et la vertu dirigent la cité par le biais d’une classe aristocratique de Philosophes.
Ainsi, il critique ouvertement la démocratie athénienne. Selon lui, elle donne un pouvoir excessif à une masse pauvre, inculte, influençable, et indisciplinée qui est incapable de poursuivre la justice et le bien.
“La démocratie apparaît lorsque les pauvres, ayant emporté la victoire sur les riches, massacrent les uns, bannissent les autres, et partagent également avec ceux qui restent le gouvernement et les charges publiques [...] C’est un gouvernement agréable, anarchique et bigarré, qui dispense une sorte d'égalité aussi bien à ce qui est inégal qu’à ce qui est égal”. République, VIII.
Dans La Politique, Aristote offre une vision du gouvernement qui se veut moins idéalisée et abstraite que celle de Platon.
Pour lui, la cité parfaite est une cité ou le gouvernement se fait au nom de l'intérêt collectif. Trois formes de gouvernement peuvent donc être désirables, tant que le bien commun est poursuivi par le ou les dirigeants : la monarchie, l’aristocratie, et la politie, dans lesquels gouvernent respectivement un roi, un petit nombre, ou le plus grand nombre.
Ces trois formes de gouvernements désirables deviennent “corrompues” dès lors que le ou les dirigeants gouvernent dans leurs intérêts personnels : “La tyrannie est une monarchie qui n'a pour objet que l'intérêt personnel du monarque ; l'oligarchie n'a pour objet que l'intérêt particulier des riches ; la démocratie, celui des pauvres”. La Politique, Livre III, Chapitre 5.
La démocratie est donc, selon Aristote, une forme dégénérée de la politie, où les pauvres dirigent au détriment des riches et où ils s’exposent à l’influence de démagogues, qui finissent par gouverner dans leurs intérêts à la place du peuple (ce qui cause d’ailleurs la décadence de la démocratie athénienne, selon lui).
À la démocratie athénienne, Aristote préfère un gouvernement où se mélangent oligarchie et démocratie : un régime où les meilleurs citoyens dirigent (des citoyens qui sont uniquement les hommes propriétaires n’ayant pas besoin de travailler pour vivre).
C’est ainsi que dès ses origines, la démocratie est perçue de manière négative comme la tyrannie des pauvres sur les riches.
Cette perception n'évoluera pas pendant plus de 2000 ans car il faudra attendre les révolutions Américaines et Française au 18e siècle pour voir resurgir le concept comme objet d’étude. Mais comme nous allons le voir, si ce mot fait bien l'objet de débats très importants, il peine à se défaire de son image antique.
🇺🇸 La démocratie vue des Etats-Unis d’Amérique
Lorsque les colons américains déclarent l’indépendance des États-Unis d’Amérique en 1776, les pères fondateurs réfléchissent déjà à la meilleure manière de gouverner le nouvel État fédéral.
Érudits et influencés par les idées des lumières, ils regardent vers l’antiquité afin d’éclairer leurs débats. Et de l’antiquité, ce sont les “images effrayantes de la cité démocratique proposées par les plumes de maîtres de l’Antiquité” qu’ils retiennent. Pour les pères fondateurs américains, la démocratie, qui “n’a jamais eu de défenseur parmi les hommes de lettres”, “est un gouvernement arbitraire, tyrannique, sanglant, cruel et intolérable”.
Ces paroles sont toutes de John Adams, pères fondateurs, vice-président de Georges Washington et futur président des Etats-Unis. Dire qu’il ne portait pas la démocratie dans son cœur serait un euphémisme.
Pour comprendre la haine qu’éprouvent les pères fondateurs envers la démocratie, il suffit de se pencher sur les archives des discussions et débats qui ont entouré la rédaction de la constitution, dans les années 1780. En 1787, Alexander Hamilton prononce un discours à la Convention de Philadelphie :
“Toutes les communautés se divisent entre les peu nombreux et les nombreux. Les premiers sont les riches et les biens nés. Les autres la masse du peuple. [...] Le peuple est turbulent et changeant; il ne juge et ne reconnaît le juste que rarement. Il faut donc donner à la première classe une part distincte et permanente dans le gouvernement. Les riches et les biens nés vont contrôler l'instabilité des seconds, et comme ils ne peuvent obtenir un quelconque avantage d'un changement, ils vont donc nécessairement toujours maintenir un bon gouvernement. Est-ce qu'une assemblée démocratique, qui annuellement se déroule dans la masse du peuple, peut supposément être stable dans sa poursuite du bien commun? Rien d'autre qu'un corps permanent peut freiner l'impudence de la démocratie. Cette disposition turbulente et hors contrôle requiert des contrôles.”
Ce à quoi James Madison et John Adams ajoutent :
“[Le rôle du gouvernement est de] protéger la minorité des opulents contre la majorité”. – James Madison
“Les pauvres sont destinés au labeur, les riches sont qualifiés pour les fonctions supérieures en raison de leur éducation et de l'indépendance et des loisirs dont ils jouissent”. “Les pauvres ne doivent donc pas exercer de pouvoir politique, non seulement parce qu'ils n'en ont pas les capacités ou le temps, mais aussi parce qu'ils se laissent plus facilement corrompre en raison de leur indigence.” – John Adams
Pour appréhender ces paroles (qui reflètent d’ailleurs les visions platonicienne et aristotélicienne de la démocratie avec beaucoup de justesse), il est essentiel de considérer la position sociale des hommes qui les prononcent : les pères fondateurs sont tous de riches propriétaires membres de l'élite intellectuelle de l’époque, très préoccupés par le maintien du respect des droits de propriété.
La république américaine est donc une aristocratie élective, ce dont personne ne se cache à l’époque :
“Il y a une aristocratie naturelle, fondée sur le talent et la vertu, qui semble destinée au gouvernement des sociétés, et de toutes les formes politiques, la meilleure est celle qui pourvoit le plus efficacement à la pureté du triage de ces aristocrates naturels et à leur introduction dans le gouvernement !”. Lettre de Thomas Jefferson à John Adams, 1813.
Logiquement donc, on ne retrouvera pas de mention du mot démocratie dans la nouvelle constitution américaine, et les observateurs de l’époque se retiendront bien d’associer la république à ce terme : Fisher Ames félicitait même les “sages de la grande Convention” d’avoir choisi d'établir une république “qui est plus différente encore d'une démocratie, qu'une démocratie est différente du despotisme”.
🇫🇷 La démocratie à l’heure de la première république Française
En France, la démocratie redevient un sujet d’étude dès le milieu du 18e siècle. Les philosophes des Lumières, et plus particulièrement Montesquieu, Rousseau, et Malby, se penchent sur ce terme lorsqu’ils étudient les formes de gouvernement antiques. On retrouve chez eux la même perspective “antique” de la démocratie :
La démocratie est le gouvernement du peuple “en corps” et s’oppose à l'aristocratie qui est le gouvernement d’une petite partie du peuple.
Le peuple, irrationnel, n’est pas capable de diriger pour le bien commun.
Comme l'écrivait Montesquieu dans De l'esprit des lois :
“Lorsque, dans la république, le peuple en corps a la souveraine puissance, c'est une démocratie. Lorsque la souveraine puissance est entre les mains d'une partie du peuple, cela s'appelle une aristocratie.”
“Le peuple est admirable pour choisir ceux à qui il doit confier quelque partie de son autorité [...] Mais saura-t-il conduire une affaire, connaître les lieux, les occasions, les moments, en profiter ? Non : il ne le saura pas. ”
Ces perspectives antiques, remises au goût du jour par Montesquieu, sont bien ancrées dans l’esprit des intellectuels à l’aube de la révolution française. En 1789, quelques mois après le début de la révolution et en pleine discussion sur l'organisation du pouvoir législatif, le député Sieyès déclare :
« La France n'est point, ne peut pas être une démocratie » et « le peuple, je le répète, dans un pays qui n'est pas une démocratie (et la France ne saurait l'être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants ».
Une démocratie que les élites françaises ne semblent pas plus désirer que leurs cousines américaines, comme le montrent les paroles du député Barnave, en 1791, alors que la première constitution française s'apprête à être finalisée : “l'exercice immédiat de la souveraineté par le peuple, c'est-à-dire la démocratie, [représente] tout ce qu'il y a dans la nature de plus odieux, de plus subversif, de plus nuisible au peuple lui-même.”
De la même manière qu’aux États-Unis, la première constitution française de 1791 ne fait pas mention de la démocratie. D’ailleurs, l’historien Pierre Rosanvallon fait remarquer qu’entre 1789 et 1791, le mot “démocratie” n’a pas été utilisé une seule fois dans les débats officiels au sujet du droit de vote.
Ainsi, quand la démocratie ressurgit de l’antiquité au 18e siècle, elle est au mieux considérée comme une chimère réservée aux dieux, au pire comme une tyrannie odieuse, instable, corruptible.
À la démocratie, les pères fondateurs de part et d’autre de l’Atlantique préfèrent la République : un gouvernement aristocratique basé sur la représentation par élection et où règnent l’équilibre et la séparation des pouvoirs. Ce système permet d’assurer que les plus vertueux dirigent pour le bien commun, sans qu’aucun groupe ne puisse exercer de pouvoir en tyran.
Mais comme nous allons le voir, c’est la puissance du mot “démocratie” comme arme politique qui lui fera progressivement devenir synonyme de République dans les décennies qui suivent les premières constitutions américaine et française.
Le tournant démocrate et la naissance de la République démocratique
C’est en France que la notion de démocratie va évoluer en premier, et plus particulièrement sous l’influence de Robespierre pendant la terreur. En fait, une certaine partie de la plèbe (les sans-culottes) fait part de fortes aspirations démocratiques dès les débuts de la révolution. Pour faire face à ces aspirations et justifier la mise à mort de ses ennemis, Robespierre va se faire l'avocat d'une démocratie représentative qui, “pour le bonheur général, est tempérée par les lois”. Cette nouvelle idée de la démocratie (c’est une réelle innovation idéologique) lui permettra de justifier la mise à mort de tous ceux situés de part et d’autre du spectre politique : les républicains modérés d’un côté, et les mouvements populaires de l’autre. Les premiers ne s’associent pas à la démocratie, les deuxièmes sont au contraire de vrais démocrates, exigeant que chaque loi soit débattue et ratifiée par le peuple dans des assemblées locales.
Cette récupération du terme démocratie est critiquée à l’époque, comme l’exprime le député Jean-Baptiste-Marie-François Bresson lorsqu’il déplore cette “charlatanerie odieuse qui consiste à parler sans cesse de la souveraineté du peuple et de sa volonté, sans lui laisser aucun moyen de la constater librement”. Malgré cela, Robespierre réussit à ancrer l'association de la démocratie au gouvernement représentatif : Sieyès, qui disait en 1789 que la France “ne saurait être une démocratie”, critiquera en 1795 ceux “qui croyaient le système représentatif incompatible avec la démocratie”.
Cette nouvelle idée de la démocratie représentative va infuser dans les cercles bourgeois et intellectuels en France et surtout aux Etats-Unis dans les années qui suivent la révolution française. Dès 1801, un texte qui paraît aux Etats-Unis explique que la Constitution repose sur la “fédération des États” et la “démocratie représentative”. Le juge et sénateur Henry Brackenridge écrira en 1804 : “le nom Republicain, qui seul a été vanté pendant un certain temps, est maintenant considéré froid et équivoque, et il a cédé la place, presque toujours, au nom de la République-Démocratique. Dans peu de temps, ce sera simplement la Démocratie.”
Face à ce phénomène, certains dénoncent une fausse innovation idéologique :
“Qu’est-ce qu’une aristocratie élective ? Il faut le dire, au risque de causer un profond chagrin aux modernes politiques qui croient avoir inventé le gouvernement représentatif, l’aristocratie élective, dont Rousseau a parlé il y a cinquante ans, est ce que nous appelons aujourd’hui démocratie représentative […] Aristocratie élective, démocratie représentative sont donc une seule et même chose.”. Pierre Louis Roederer (entre 1804 et 1815).
La naissance de la République démocratique
C’est dans les années 1820 que va naître la première démocratie au sens moderne, sous l’influence d’Andrew Jackson, futur président des Etat-Unis. Lorsqu’il se présente à l’élection de 1828, dans un contexte d’expansion de la classe ouvrière et d'élargissement des Etat-Unis, Jackson le fait en tant que “simple démocrate”. Élu du parti républicain, il devient le premier président à s’afficher ouvertement démocrate. Il est perçu comme le “champion du vrai peuple” et “l’ennemi de l’aristocratie financière” des grandes villes.
C’est à ce moment que les élites françaises et américaines se rendent compte de la puissance politique du mot démocrate. Le parti “Républicain” devient le parti “Démocrate” en 1840, un changement qui assurera, selon les membres du parti, la victoire aux élections “grâce aux mots démocratie - démocrate - et démocratique. Nous nous fondons tous sur eux, en tant que parti. Aussi longtemps que nous porterons ce nom, vous ne pouvez pas nous battre, mais nous vous battrons”.
Cet extrait, issu d’un manuel de combat politique de 1840 expliquant comment utiliser le mot démocratie à des fins stratégiques, illustre bien à quel point les hommes politiques avaient conscience du pouvoir manipulatif de ce mot.
En France, l’élite cultivée observe le développement de cette “démocratie” américaine, notamment grâce à Tocqueville et son ouvrage De la démocratie en Amérique publié en 1835. Ce sont les socialistes qui s’emparent en premier du terme “démocratie”, associant le terme à lutte ouvrière qui s’organise peu à peu dans le pays. Dans une époque marquée par la lutte des classes et l’ouverture du vote à tous les hommes (1848), les républicains Français prennent rapidement conscience de l’efficacité politique du mot, et s'empressent de se revendiquer démocrate à leur tour. Ils en viendront même à utiliser le mot démocratie contre les socialistes quand ils diront que “la démocratie veut l’égalité dans la liberté, alors que le socialisme la veut dans la pauvreté et l’esclavage” (Tocqueville).
Même si en France et aux Etats-Unis, les premiers à avoir adopté l’étiquette démocrate vont accuser leurs adversaires d’usurpation, le mal est fait : tous les hommes politiques se revendiquent désormais démocrates. Dans les mots d’Auguste Blanqui, un révolutionnaire socialiste :
Qu'est-ce donc qu'un démocrate, je vous prie ? C'est là un mot vague, banal, sans acception précise, un mot en caoutchouc. Quelle opinion ne parviendrait pas à se loger sous cette enseigne ? Tout le monde se prétend démocrate, surtout les aristocrates”.
C’est ainsi que la demokratia antique, ou le gouvernement du peuple par le peuple, est devenue en quelques décennies un mot aux contours flous, utilisé par les uns et les autres comme arme politique pour s’attirer l’approbation des masses. Et tout cela s’est passé alors même que la structure des gouvernements a très peu évolué depuis les premières constitutions française et américaine, comme le souligne la North American Review, lorsqu’ils demandent en 1842 :
« Quelle aurait été l'horreur des pères de la Constitution [américaine], si on leur avait dit que dans une cinquantaine d'années, le gouvernement qu'ils instauraient avec tant de protections si bien pensées contre ce qu'ils nommaient démocratie serait lui-même nommé démocratie ».
Qu’est donc la démocratie à l’aube du 20e siècle ? Georges Clemenceau, futur président français, apporta la réponse suivante en 1896 : “en réalité, ce qu’on entend par démocratie, dans le langage courant, c’est l’accroissement fatal, profitable, mais incohérent, des minorités gouvernantes.”
Concluons.
Nous avions posé trois questions au début de ce texte. Trois questions auxquelles nous pouvons désormais répondre :
Les pères fondateurs se sont écartés des principes de la démocratie antique car ils ne pensaient pas que le peuple était capable de se diriger par lui-même. Ils voyaient la démocratie comme la tyrannie des pauvres sur les riches et la fin des droits de propriété – une issue odieuse. Selon eux, le peuple devait être représenté par une élite aristocratique, plus capable d'œuvrer pour le bien commun.
Notre modèle a finalement peu changé depuis la 1ere république. D’un point de vue structurel, notre “démocratie” moderne repose donc sur des principes profondément aristocratiques. Cependant, il faut également noter que notre modèle est également plus démocratique car le vote s’est étendu pour devenir universel.
Ainsi, il semble compliqué d’affirmer que notre modèle est réellement un gouvernement du peuple par le peuple quand on considère que structurellement, notre modèle est aristocratique, et que d’un point de vue idéologique, l'évolution du terme démocratie a été motivée par une volonté de travestir le terme pour s’en servir comme outil de propagande politique.
Faut-il donc s’indigner ? Crier au mensonge ? À la manipulation ?
Pas nécessairement.
On pourrait très bien dénoncer une utilisation abusive du mot démocratie et l’illusion de pouvoir qui en résulte sans pour autant remettre en question le fonctionnement aristocratique du système.
En revanche, nous pensons qu’il est essentiel d’avoir ces réalités en tête lorsque l’on réfléchit à notre modèle de gouvernement. Dans un contexte qui voit la démocratie de plus en plus remise en question et la rhétorique anti-élitiste gagner du terrain, comprendre notre modèle est impératif si l’on veut se former une opinion qui n’est pas idéologique.
Remise en question
Pour ceux qui appellent à la “vraie” démocratie, il est important de noter que c’est un modèle qui n’a jamais vraiment existé à grande échelle et qui a toujours été vu comme extrêmement dangereux. Les penseurs de l’histoire associaient tous le vote démocratique à la vertu, mais peut-on réellement dire que les citoyens sont aujourd’hui vertueux ? Donner plus de pouvoir au peuple va-t-il justement l’inciter à cultiver cette vertu et à se former des opinions au-delà de la désinformation et des biais cognitifs ? Ou au contraire cela nous amènera-t-il vers une tyrannie populaire et le règne de la démagogie ? Dans un monde qui se complexifie et s’accélère, le peuple en corps peut-il savoir ce qu’il y a de mieux pour lui ?
Pour ceux qui préfèrent le modèle républicain d’aristocratie élective, comment répondre au rejet croissant des élites ? Comment répondre à ceux qui décrivent l’élite comme une “technostructure qui a démontré depuis bien longtemps que le bien commun n'était pas son sujet”. Que dire à ceux qui expliquent “qu’à la République représentative dans laquelle nous sommes supposés vivre encore officiellement a succédé ce qu’on pourrait appeler un ordre libéral-étatique” où des élites non élues, et donc non légitimes, dirigent ? Que rétorquer à ceux qui remettent en question le caractère méritocratique de la société et avancent que les inégalités se reproduisent ?
Finalement, la crise de la démocratie ne s’exprime-t-elle pas à travers le fossé qui se creuse entre l’élite et le peuple Français ? Un fossé qui se creuse justement à cause de la confusion créée par l’utilisation abusive du mot démocratie : en suggérant que le peuple détient le pouvoir, les élites s’affranchissent de toutes responsabilités envers le peuple, et, d’un même mouvement, le peuple affranchi ses élites de toutes responsabilités.
Dès lors, comment combler ce fossé ?
La première étape est de dissiper cette confusion, ce que nous avons humblement essayé de faire dans ce texte.
Ensuite, peut-être faudrait-il que, dans les mots de Pierre Manent, la “classe dirigeante et peuple populiste sortent de leur mépris réciproque. Qu’ils apprennent à penser ensemble la république représentative” ?
Nous en sommes convaincus. Nous sommes également convaincus que pour sortir du mépris et travailler ensemble, la première étape est de se comprendre.
À travers de futurs longs formats, nous essaierons donc de mettre en lumière la manière dont s’est construite l’idéologie politique de notre élite. Nous explorerons la rivalité entre les idéologies gaullo-mitterrandiste et néoconservatrice qui fait rage, dans l’ombre, depuis plusieurs décennies.
📚 Pour aller plus loin
Trois livres références sur la démocratie :
Démocratie, histoire politique d’un mot — Francis Depuis-Déri
Principes du gouvernement représentatif — Bernard Manin
La haine de la démocratie - Jacques Rancière
Des ouvrages fascinants à consulter :
La Politique - Aristote
La République - Platon
L’esprit des Lois - Montesquieu
De la démocratie en Amérique - Tocqueville
Quelques textes intéressant :
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