Bonjour à tous !
Pour ce deuxième long format, nous vous parlons d’un sujet que l’on a très cœur d’aborder et qui est de grande actualité : la démocratie.
Et au risque de plomber l’ambiance, si ce sujet est d’actualité c’est parce que pour beaucoup, la démocratie est en crise.
Une crise dans la façon dont la démocratie est vécue : perte de confiance dans les institutions, rejet du vote, augmentation des inégalités au sein des pays, sentiment de déconnexion entre les gouvernants et les gouvernés, etc., etc., etc.
Mais également une crise de la démocratie comme modèle de gouvernement : en 2021 le nombre de pays qui tendaient vers l’autoritarisme était trois fois supérieur à celui des pays qui tendent vers la démocratie, et 1/3 de la planète vivait sous un régime autoritaire.
Et comme on sent que les gens, à travers le monde démocratique, en ont de plus en plus marre de se réveiller avec cette angoisse existentielle et appellent au changement, on s’est dit que ça serait intéressant d’éclairer le débat.
La première étape ? Savoir à quoi on a affaire, et demander : La démocratie, qu’est-ce que c’est ?
Pour répondre à cette question, il est essentiel de comprendre comment la démocratie est née, à quels impératifs elle souhaitait répondre, et quels étaient ses principes.
Dans la première partie de ce long format, nous vous proposons donc de faire un saut dans le temps et de retourner aux origines de cette forme de gouvernement : la Grèce antique.
Et c’est promis, ce que nous allons y trouver va vous surprendre et vous emplir d’espoir.
Bonne lecture.
📖 Temps de lecture estimé : 8 minutes.
🏛 La naissance de la Dēmokratia
À l’origine : la lutte des classes
La démocratie — autorité (kratos) du peuple (dêmos) — est née à Athènes au 5eme siècle B.C. Et pour tenter de comprendre d’où elle vient, il faut encore une fois se tourner vers le contexte historique.
La démocratie trouve son origine dans une double crise qui traverse le monde grec à cette époque. Une crise politique et sociale.
Une crise sociale
À l’aube du 6eme siècle B.C., un nombre croissant de paysans sont forcés de se vendre comme esclaves aux grands propriétaires des terres sur lesquels ils travaillent.
La raison ? À cette époque, le commerce se développe énormément et les paysans, perdant en compétitivité face à la concurrence grandissante, ont de plus en plus de mal à écouler leur production. En 612 B.C. de nouvelles lois introduites par Dracon (les fameuses lois “draconiennes”, réputés pour leur intransigeance) forcent les paysans à se vendre esclaves pour faire face à leurs dettes. Cet asservissement, qui se fait au profit des riches propriétaires terriens et dirigeants oligarques de la cité, les Eupatrides (aristocrates), créera un fort mécontentement paysan.
Une crise politique
En parallèle, le développement du commerce et de la monnaie voit la naissance d’une classe de riches marchands. Ceux-ci, de plus en plus intéressés à la vie et à la protection de cité, veulent participer à son gouvernement. Ils font néanmoins face à l’opposition des mêmes Eupatrides, qui désirent rester seuls maîtres de la cité.
C’est ainsi que cette nouvelle classe “bourgeoise” vient grossir le rang des esclaves et chômeurs qui manifestent contre l’organisation et les lois de la cité. Une cité qui, au tournant du 6eme siècle B.C., se retrouve au bord de l’explosion sociale.
💡 Il est frappant de voir à quel point cette double crise économique et sociale ressemble à la situation dans laquelle beaucoup de pays se trouvent aujourd’hui : ubérisation de la société, perte de compétitivité du fait de la mondialisation, désir de participation à la vie politique.
☝️ Nota Bene : seuls les hommes ayant suivi une formation militaire et civique sont citoyens. Les femmes, les étrangers, et les esclaves, ne sont pas considérés comme citoyens.
La dēmokratia comme remède à la crise
C’est dans ce contexte que, au cours du 6eme siècle B.C., une succession de réformes sont introduites pour assurer l’unité de la cité. Comment ces réformes voient-elles le jour ?
Face à la crise, les citoyens athéniens refusent de céder et à l’anarchie. Dans une action qui traduit une fascinante conscience politique commune, les différentes classes sociales choisissent un homme pour arbitrer les intérêts et résoudre la situation : Solon, Eupatride (aristocrate) connu pour sa proximité avec la classe populaire. C’est lui qui, avec Clisthène un siècle plus tard, façonnera la démocratie. On notera les réformes suivantes :
Solon (-594) : Grand réformateur social, Solon défait les lois draconiennes, efface toutes les dettes (la sisachtie), et abolie l’esclavage pour dette. Il redistribue le pouvoir politique, en permettant à tous les citoyens de participer au vote des lois (au sein de l’Ecclésia), et en ouvrant les hautes fonctions de direction (magistrature) aux nouveaux marchants riches.
Clisthène (-508) : après 50 années de tyrannie qui voient le pouvoir aristocratique diminuer, Clisthène réorganisation l’espace civique athénien : il établit la Boulé des 500, au sein de laquelle des citoyens tirés au sort sont responsables d’élaborer des propositions de lois et de les soumettre à l’Ecclésia.
C’est donc ainsi que, principalement sous l’action de ces hommes, née la démocratie athénienne.
En tirant de larges traits par soucis de simplification, on peut dire que cette démocratie est caractérisée par :
L’exercice direct de la volonté populaire, au sein de l’Ecclésia.
L’exercice égal et au gré du sort de la souveraineté populaire, au sein de la Boulé.
À ces deux caractéristiques il faut ajouter une troisième, souvent absente de l’idée idéalisée que l’on se fait de la démocratie antique : une forte composante aristocratique et méritocratique. En effet, même si le peuple dispose de beaucoup de pouvoir, les postes de gouvernement (magistrature) les plus importants étaient réservés aux castes les plus riches. Les stratèges, qui disposaient d’énormément de pouvoir, étaient eux élus — Thucydide (l’historien antique le plus connu) dit de Périclès, (15 fois stratège et figure importante de la démocratie), qu’il fût le “premier citoyen de sa patrie”. Enfin, les tirages au sort étaient toujours effectués parmi des groupes de citoyens volontaires, et la forte responsabilité des élus poussait naturellement les citoyens les plus vertueux à se soumettre au sort.
C’est donc à travers cette organisation que les pères fondateurs ambitionnent d’assurer l’unité de la cité, une organisation reposante sur :
L’égalité des droits civiques, c’est-à-dire l’égalité des chances et le droit égal pour tous à la parole (Isonomia, Isegoria, Isogonia).
La liberté de participer à la vie publique (Eleutheria).
☝️ Nota Bene : de nombreux débats subsistent autour de l'interprétation des valeurs centrales de la démocratie athénienne (exemple). Nous avons ici essayé de simplifier en mentionnant les principes les plus communément acceptés.
Par exemple, la notion de liberté antique était très différente de la notion de liberté individuelle aujourd'hui. Il est communément accepté que la vie des citoyens athéniens était totalement subjuguée à l'état.
Dēmokratia vs. Démocratie
Bien que la devise de la république Francaise reprenne les termes de liberté et d’égalité, il est frappant d’observer que les mécanismes par lesquels ces principes fondamentaux sont censés s’appliquer semblent… tout simplement absents de nos modèles politiques.
En ce qui concerne l’égalité, les Grecs accordaient une place fondamentale au tirage au sort. Pourquoi ? Parce que c’était par ce mécanisme que se traduisait la justice démocratique, en obligeant chaque gouvernant à se mettre à la place des gouvernés et permettait de prévenir la corruption et d’inciter à la mesure.
Dans les mots d’Aristote :
“Voici les traits caractéristiques du régime populaire : élection de tous les magistrats parmi tous les citoyens ; exercice du pouvoir par tous sur chacun, chacun à tour de rôle commandant à tous ; tirage au sort de toutes les magistratures, ou du moins de toutes celles qui n’exigent ni expérience pratique ni connaissances techniques”.
Aristote, Les Politiques, VI, ch. 2
Intéressant donc d’observer que ce processus, essentiel à la Dēmokratia, a complètement disparu de notre définition de la démocratie.
Pour ce qui est de la liberté, on note une double différence. Premièrement, notre liberté à [droit de] participer à la vie publique se limite aujourd’hui à l’élection : impossible donc de voter et débattre les lois directement, comme le pouvaient les citoyens athéniens. Deuxièmement, comme mentionné plus haut, notre définition moderne de la liberté implique un droit individuel de ne pas participer à la vie publique. Dans la Grêce antique, c’était le contraire : les citoyens athéniens étaient asservis à l'état.
Ainsi, des principes de liberté et d’égalité athéniens, il semblerait que notre démocratie n’en ait gardé que les noms.
Que dire donc, de la démocratie moderne ?
Après cette analyse (qui, bien que simplifiant beaucoup les débats entourant les caractéristiques de la démocratie antique, en capture l’essence) il est difficile de ne pas remarquer que nos démocraties modernes ressemblent bien peu à la démocratie athénienne.
Et disant cela, notre objectif n’est pas de comparer les mérites des deux modèles. Plutôt, nous cherchons à mettre en lumière le fait qu’il existe une déconnexion entre l’idée antique de la démocratie et son application actuelle.
Et reconnaître qu’il est difficile, en apparence, d’établir un lien direct entre démocratie antique et démocratie moderne, c’est s’interroger sur la formation de ces dernières.
C’est se demander :
Pourquoi les pères fondateurs des démocraties Américaines et Françaises se sont écartés des principes la démocratie antique ?
Qu’est-ce que cette volonté d’éloignement nous apprend sur la philosophie de notre système actuel ?
Et c’est bien sûr se demander si, en disant que la démocratie est “l’autorité (kratos) du peuple (dêmos)”, on peut réellement dire de notre mode de gouvernement qu’il est démocratique ?
Trois questions que l’on pense impératif d’aborder si l’on veut comprendre à quel idéal démocratique on se réfère lorsque l’on déplore une « diminution de la démocratie ».
Et ça tombe bien, on compte bien se pencher dessus.
Et on préfère vous prévenir, vous allez être surpris.
Un peu d’espoir
Deux choses que l’on retient de ce voyage dans le temps, et qui nous donnent espoir, sont les suivantes :
Des crises, il y en avait il y a 2500 ans, et il y en aura probablement pour les 2500 prochaines années. Chez nous, le reconnaître est un excellent antistress, même si les échelles sont différentes. Commencez donc par vous détendre.
Face à la crise, l’humanité a su montrer qu’elle savait collaborer pour trouver des solutions. On ne sait pas pour vous, mais on trouve que la naissance de la démocratie à Athènes est un exemple formidable de ce dont nous sommes capables lorsque nous faisons preuve de conscience collective et de résolution. Alors une fois détendu, relevez-vous les manches.
C’est tout pour cette première partie sur la démocratie ! Pour vous donner un indice sur ce qui vous attend dans la deuxième partie, nous vous laissons en compagnie d’Aristote et de Montesquieu :
Il est considéré comme démocratique que les magistratures soient attribuées par le sort et comme oligarchique qu'elles soient électives.
Aristote, Les Politiques, IV, ch. 9
Le peuple est admirable pour choisir ceux à qui il doit confier quelque partie de son autorité… Mais saura-t-il conduire une affaire, connaître les lieux, les occasions, les moments, en profiter ? Non : il ne le saura pas.
Montesquieu, De l'esprit des lois, 1748
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