L'intelligence artificielle va-t-elle détruire le travail ?
En partie. Mais pas totalement ! En fait on n’est pas sûr, mais les problèmes sont ailleurs.
Les développements de l’intelligence artificielle vont vite. Très vite.
Il a fallu seulement 2 mois pour que ChatGPT atteignent 100 millions d’utilisateurs.
En 8 mois, la qualité du modèle de génération d’images à partir de données textuelles MidJourney est passée de l’image de gauche à celle de droite (et la v5 est sortie depuis).
GPT-4, la dernière version du modèle d’Open AI sortie mi-mars, atteint le top-10% des scores à l'examen du barreau.
Cette accélération pousse certains à appeler au ralentissement du développement des modèles d’IA les plus puissants. Elon Musk et plus de 1000 autres chercheurs et experts de l'intelligence artificielle publiaient la semaine une lettre ouverte pour avertir des risques majeurs que fait peser l’IA sur l'humanité, citant notamment désinformation, perte de contrôle, et destruction massive d’emplois.
J’aimerais me pencher ici sur ce dernier point, et répondre à la question qui vous brûle les lèvres : l'intelligence artificielle va-t-elle détruire le travail ?
Je vous explique pourquoi ce n’est probablement pas le cas, mais pourquoi il est tout de même impératif d’encadrer son développement.
Bonne lecture.
Dans ce texte :
Une crainte qui ne date pas d’hier.
Qu’en est-il aujourd’hui ?
Les 3 enjeux de l’adoption de l’IA.
Devrions-nous accueillir l’IA ?
⏱ Temps de lecture : 15 minutes
1. Une crainte qui ne date pas d’hier
La crainte de l’automatisation et de la destruction du travail humain par les machines ne date pas d’hier. Déjà au début de 19e siècle, en pleine révolution industrielle anglaise, une association secrète d’artisans, les Luddites, s’était donnée pour mission de détruire les machines de fabrication de textile qui les avaient forcés à fermer leurs ateliers. Il est d’ailleurs commun de qualifier aujourd’hui de luddite les personnes qui s’opposent au progrès technologique.
En 1961, bien avant la révolution d’internet, un article du magazine Time remettait cette crainte au goût du jour :
The number of jobs lost to more efficient machines is only part of the problem. What worries many job experts more is that automation may prevent the economy from creating enough new jobs. . . . Throughout industry, the trend has been to bigger production with a smaller work force. . . . Many of the losses in factory jobs have been countered by an increase in the service industries or in office jobs. But automation is beginning to move in and eliminate office jobs too. . . . In the past, new industries hired far more people than those they put out of business. But this is not true of many of today’s new industries. . . . Today’s new industries have comparatively few jobs for the unskilled or semiskilled, just the class of workers whose jobs are being eliminated by automation.
L’histoire semble ne pas avoir donné raison à ces angoisses. Mais la situation est-elle différente aujourd’hui, alors que l’IA promet d’automatiser des tâches cognitives complexes ?
2. Qu’en est-il aujourd’hui ?
D’après une étude de 2020 du World Economic Forum, l’adoption de l’IA devrait conduire à une création nette de 12 millions d’emplois dans le monde d’ici 2025.
Les métiers les plus à risques sont ceux qui impliquent le traitement plus ou moins standardisé de données : assistants légaux, comptables, secrétaires, management, services client, services d’informations. Ceux qui le sont le moins sont ceux impliquant des procédés manuels (construction, agriculture, services à la personne) ou impliquant un haut niveau de jugement, d’expertise, et de créativité.
De l’autre côté la création d’emplois serait due à deux facteurs principaux :
i. La création de nouveaux emplois dans le domaine de l’IA et la complémentarité de l’emploi
À mesure que l’IA s’améliore et est adoptée par les entreprises, la demande pour des professionnels capables de la maîtriser va mécaniquement augmenter. Chaque entreprise emploiera des personnes capables de construire ou/et d’entraîner des modèles, d’en analyser les résultats, ou de les encadrer (pensez ingénieurs, mathématiciens, analystes de données, etc.). De nouveaux métiers vont apparaître, comme les experts en éthique de l’IA ou les régulateurs du trafic des voitures autonomes.
Parallèlement, il est probable que l’IA ne détruise pas les emplois où une grande partie des tâches sont automatisables, mais permette plutôt aux professionnels de se spécialiser sur d’autres tâches à plus forte valeur ajoutée. Cela in fine permettra aux entreprises de fournir des services moins cher et de meilleure qualité, ce qui augmentera la demande pour ces services.
ii. La création de nouveaux emplois causée par plus d’activité économique
L’automatisation d’une tâche permet une augmentation de la productivité. Cette augmentation permet aux entreprises de réduire leurs coûts et ces économies ont pour conséquence d’augmenter l'activité économique globale :
Soit parce que les entreprises réinvestissent ces profits, ce qui conduira à des créations d’emplois.
Soit parce que les entreprises distribuent ces profits à leurs actionnaires, qui pourront financer d’autres entreprises ou consommer plus, ce qui découle in fine sur des créations d’emplois.
Soit parce que les entreprises transfèrent ces bénéfices aux consommateurs à travers une baisse des prix. Cette baisse des prix va augmenter la demande à travers l’économie, et donc conduire à de la création d’emplois.
Au total, PWC estime que ces facteurs pourraient représenter une augmentation de la richesse de $15.7 trilliards d’ici 2030 (ou 13% du PIB global actuel - une grosse somme donc).
Peut-on se fier à ces chiffres ?
Les arguments des “nouvelles professions” et de “l’augmentation de l’activité économique” sont par nature abstraits. Un observateur critique pourra remarquer que les cabinets de conseils à l’origine de ces rapports ont tout intérêt à construire leurs modèles avec des hypothèses leur permettant de tirer des conclusions positives “pro-business”. Il suffit de lire les commentaires de cette tribune dans le Monde pour voir que ces arguments sont loin de convaincre.
Pour l’instant, l’histoire semble donner raison aux optimistes : une étude récente a montré qu’aujourd’hui, 60% des travailleurs occupaient des emplois qui n’existaient pas en 1940. Cela implique que 85 % de la croissance de l'emploi au cours des 80 dernières années s’explique par la création de nouveaux postes, permis par le progrès technologique.
Un examen de la recherche académique sur cette question réalisé par des économistes semble confirmer ces observations. D’après eux, “les craintes d'un chômage généralisé dû à la technologie ne reposent pas sur une base empirique”. Dis autrement, l’histoire a montré jusque-là que le progrès technologique créait plus d’emplois qu’il n’en détruisait.
Mais cela ne veut pas dire que les craintes sont infondées. Comme l’avouent les auteurs de l’étude, la nouveauté de l’IA fait “qu'il n'est pas clair dans quelle mesure les résultats peuvent être extrapolés à l'avenir”.
Une critique évidente de ce mécanisme de création d’emplois porte sur le fait que dans un monde fortement automatisé, l’augmentation de la demande des entreprises ou des consommateurs pourrait se porter sur d’autres services automatisés (ce qui est probable à mesure que de plus en plus d’emplois qualifiés le deviennent) ce qui ne créerait pas d’emplois.
👉 Si l'examen de l’histoire se veut rassurant, les études restent cependant précautionneuses et admettent leur incapacité à prédire avec certitude comment le marché du travail réagira à des technologies qui sont seulement en train de voir le jour.
3. Les 3 enjeux de l’adoption de l’IA
Si ces chiffres sont optimistes, ils ont néanmoins des parts d’ombre significatives :
À court terme, ils ne disent rien du processus de modification du marché du travail
À moyen terme, ils ne disent rien de l’état du marché du travail (qualité de l’emploi, inégalités).
À plus long terme, ils ignorent les modifications profondes du marché du travail que pourrait entraîner l’adoption d’IA robotisées plus intelligentes que l’homme.
Penchons-nous sur ces questions.
L’enjeu à court terme : la rapidité de disruption du marché du travail
D’après une étude publiée la semaine dernière par Goldman Sachs, la vague d’IA générative (texte et image) qui déferle depuis l’été dernier pourrait voir l’automatisation de 300 millions d’emplois dans le monde. En Europe et aux États-Unis, jusqu’à 25% des taches (non des emplois) pourraient être remplacés par ces nouveaux outils.
The Potentially Large Effects of Artificial Intelligence on Economic Growth. Goldman Sachs. Mars 2023.
À titre de comparaison, une étude de McKinsey de 2017 qui portait sur toutes les technologies d’IA estimait qu’entre 15 et 30% des travailleurs (400 à 800 millions de personnes) pourraient voir leurs emplois affectés d’ici 2030 dans le monde, et que 75 à 375 millions de travailleurs pourraient avoir à changer complètement d’industrie.
Comme l’écrivent les rédacteurs de l’étude, tout l’enjeu de la pénétration des technologies d’intelligence artificielle est donc de permettre aux travailleurs affectés de retrouver un emploi rapidement, ce qui pourra nécessiter de re-former efficacement des millions de personnes. Plus l’adoption des technologies d’IA sera rapide, plus la transition sera complexe à gérer, et plus les pays s’exposeront au risque de voir une augmentation importante du chômage pendant la phase de transition. Cette augmentation du chômage pourrait réduire les perspectives de croissance des entreprises et fragiliser l’équilibre social. Une dislocation du marché du travail qui avait d’ailleurs été identifiée par le célèbre économiste John Maynard Keynes dans les années 1930 : il parlait alors de “chômage technologique”.
👉 Planifier et mettre en place des moyens de re-formation et de re-qualification pour accompagner cette transition est donc absolument essentiel pour éviter de profondes crises économiques et sociales.
L’enjeu à moyen terme : prévenir une augmentation des inégalités
Fondamentalement, une augmentation de la productivité est la capacité à générer autant (ou plus) de valeur avec moins de ressources.
Générer autant de valeur avec moins de travail humain, c’est mécaniquement partager la valeur créée avec moins de personnes. Dit autrement, c’est concentrer la valeur créée dans un plus petit nombre de personnes.
Ce n’est pas un problème en soi : si un employé quittant un secteur peut maintenir un haut niveau de création de valeur dans un autre, et si après cela les gains de productivité sont uniformes à travers les secteurs, la destruction des emplois créée par l’automatisation n’augmente pas les inégalités.
Malheureusement, ce n’est pas ce qu’il semble se passer depuis les années 80.

Ce graphique (qui porte sur les USA) montre deux choses :
Lorsque les gens changent d’industrie, ils ont tendance à aller dans des industries où ils créent moins de valeur économique (ligne rouge).
Lorsque les gens changent d’industrie, ils ont tendance à aller dans des industries où la productivité croît moins rapidement que dans leurs industries d’origines (ligne violette).
L’histoire que raconte ce graphique est que l’automatisation, en augmentant la productivité de certaines industries, déplace les salariés de ces secteurs vers d’autres où la productivité est plus faible. L’automatisation “polarise” le travail, en remplaçant des emplois moyennement qualifiés par une majorité d’emplois moins qualifiés et une minorité d’emplois plus qualifiés, ce qui augmente les inégalités.1 Le graphique ci-dessous illustre bien cette polarisation de la richesse depuis les années 1980.
☝️ À noter. D'autres facteurs sont à prendre en compte pour expliquer l’augmentation des inégalités et la polarisation du marché du travail2 :
La mondialisation (délocalisation d’emplois moyennement qualifiés)
Dérégulation du marché du travail (recul du salaire minimum aux USA)
Changements socio-démographiques (arrivé des femmes sur le marché du travail, surqualification)
Toujours est-il que, d’après certains chercheurs, le changement technologique serait responsable de la moitié de la croissance des inégalités salariales et de la polarisation des effectifs entre 1979 et 2007 et pour moins d’un tiers de 2000 à 20073.
👉 Ainsi, l’enjeu à moyen terme n’est pas tant de savoir si l’IA va conduire à une destruction nette d’emplois (l’histoire nous dit que ce ne sera probablement pas le cas), mais plutôt de savoir à quoi vont ressembler les emplois remplaçant ceux détruits. La vague d’automatisation promise par l’IA va-t-elle continuer de polariser le marché du travail et accentuer les inégalités ?
Vers plus ou moins de polarisation ?
Ici encore, il est impossible de savoir exactement à quoi s’attendre. Est-ce que suffisamment de nouveaux emplois qualifiés seront créés pour compenser les destructions d’emplois ? Ou les travailleurs qualifiés vont-ils être forcés de s’orienter vers des industries à plus faible valeur ajoutée (santé, construction, éducation, etc.) ?
Les études refusent encore une fois de se positionner avec certitudes. Une des raisons est que ce phénomène de polarisation est beaucoup plus visible aux États-Unis qu’en Europe, ce qui laisse penser que des facteurs locaux sont en jeu. Un risque sur lequel beaucoup s’accordent néanmoins est celui de voir l’IA accélérer les dynamiques de concentration de richesse causée par l’économie digitale.
L’économie digitale permet aux entreprises de remplacer un grand nombre d’employés par un investissement fixe en technologie. Ainsi, Netflix peut servir beaucoup plus de clients avec beaucoup moins d’employés que son concurrent historique, Blockbuster : le géant de la Tech génère 130x plus de valeur par employé.

De la même manière, l’IA promet de substituer un grand nombre de personnes qualifiées par des logiciels intelligents : un logiciel contre des millions de chauffeurs, un logiciel contre des millions d’assistants, un logiciel contre des millions de chargés de service client, un logiciel contre des milliers de nutritionnistes… Ainsi, on pourrait assister à une concentration de la richesse dans peu d’emplois et d’entreprises “stars” absorbant une majorité de la demande. Dans chaque discipline, seules les personnes ultra-compétentes sauront se différencier et capturer une immense partie de la valeur économique créée : la star des commerciaux, journalistes, traducteur, marketeur, codeur, etc.
Même si une grande partie d’emplois qualifiés n’est pas détruite, ce phénomène pourrait conduire à une augmentation des inégalités simplement parce que la croissance des revenus les plus qualifiés est plus rapide que celle des autres.
Dès lors, se pose la question de la qualité du travail chez les personnes forcées de changer d’industrie. Si le progrès technologique a en effet créé un nombre important d’emplois, certains auteurs ont montré que de moins en moins de personnes se sentent engagées au travail. L’IA va-t-elle permettre à la société de sortir de ces “Bullshit Jobs”, ou va-t-elle en créer davantage ? Une chose est sûre, aborder la question de front est essentiel.
👉 Si l’on ne peut pas prédire avec certitude quel sera l’impact de l’adoption de l’IA sur le marché du travail, on peut mettre en lumière l’existence de risques extrêmement importants d’accroissement des inégalités. Ici les États auront probablement des rôles importants à jouer, notamment en matière de régulation du marché du travail (salaire minimum), de taxation, et de protection sociale (salaire universel).
L’enjeu à long terme : la robotisation & la singularité
À plus long terme, l’IA pourrait complètement transformer la manière dont la société opère et est organisée.
La première étape pourrait voir un chamboulement du marché du travail encore plus important, avec l’association de l’IA à des robots capables de réaliser des tâches jusque-là réservées aux humains (construction, transport, vente, interventions médicales, services à la personne…). Imaginer à quoi ressemblera le marché du travail devient complexe, même si on peut imaginer qu’il existera toujours des emplois dont l’automatisation ne serait pas rentable.
La seconde est ce que l’on appelle la “singularité” : le moment où l’IA dépassera l’intelligence humaine et où elle sera capable de s’améliorer elle-même, en continu, et de manière exponentielle. Réfléchir à quoi le monde ressemblera dès lors fait mal à la tête. Les machines développeront-elles une conscience ? Que feront les hommes ? Garderons-nous le contrôle de ces technologies ? Percerons-nous les secrets de l’univers, de l’énergie, et de la matière ? L’intelligence humaine diminuera-t-elle ? Valoriserons-nous toujours la connaissance ? Comment penser la politique et le gouvernement des pays ?
Bien sûr, il est possible que ces deux moments n’arrivent jamais : que ce soit pour des raisons technologiques ou par contraintes physiques et énergétiques.
Mais il est également possible qu’ils arrivent, et plus rapidement qu’on ne le pense. C’est pourquoi il est essentiel d’engager rapidement des réflexions en la matière, et ce à l’échelle internationale.
Devrions-nous accueillir l’IA ?
Pragmatiquement, il serait très compliqué de l’interdire
Dans tous les pays du monde, laboratoires de recherches et entreprises privées sont engagés dans la course du développement de l’IA. Il est totalement irréaliste de (i) penser que nous pourrions trouver un accord international pour stopper son développement, et (ii) que celui-ci serait respecté, tant ces technologies sont critiques et posent des questions de souveraineté et de sécurité pour les pays qui échoueraient à s’adapter. C’est l’effet de la reine rouge : chaque pays est forcé de courir pour ne pas rester sur place.
La question n’est donc pas tellement de savoir s’il faut accueillir ou non l’IA, mais plutôt de comment l’accueillir et l’encadrer.
Économiquement, elle fait sens
Pour comprendre pourquoi, faisons un petit exercice mental. Si, à cause de l’IA, une entreprise licencie 50 personnes payées €100,000/an, l’État pourrait en théorie prélever les €5,000,000 économisés par l’entreprise… et les redistribuer aux salariés licenciés. L’entreprise et les ex-salariés gagneraient tous autant qu’avant, mais les ex-salariés pourraient dédier leurs journées à autre chose (loisirs, travail rémunéré ou pas, etc.). La réalité est bien sûr plus complexe, mais l’idée est là : augmenter la productivité crée en théorie de la valeur (richesse financière, temps disponible), l’enjeu est de bien la répartir.
En fait, les gains de productivité offerts par l‘IA pourraient permettre de soutenir des secteurs où nous avons tout intérêt à avoir une faible productivité (plus de travailleurs) : santé, éducation, agriculture, justice, etc. Ces secteurs n’attirent pas assez de travailleurs aujourd’hui car ils sont relativement peu valorisés par les consommateurs. Mais si demain les prix d’un grand nombre de biens de consommation venaient à baisser, et si les États pouvaient subventionner les salaires de ces secteurs, on pourrait assister à leur revalorisation et à une amélioration de la qualité des services fournis. Les ménages dépenseraient relativement plus pour la santé et l’éducation, car les prix des autres biens et services diminueraient.
Socialement, elle soulève énormément de questions
Comme nous l’avons vu, le développement de cette technologie n’est pas sans risques pour le futur de l’emploi : dislocation du marché du travail, risque de voir une progression de Bullshit Jobs, augmentation des inégalités…
Mais plus important selon moi (et souvent ignoré) est la remise en question de la notion de liberté causée par un futur où l’homme n’aurait pas (ou peu) à travailler pour survivre. Dans un monde futur, un petit nombre d’entreprises pourraient capter toute la richesse économique et l’homme, n’ayant plus à travailler, dépendrait entièrement de la redistribution de l’État pour assurer sa survie. Il est facile de voir comment cette concentration de la richesse dans les entreprises puis dans les États pourrait être problématique : les premières cherchant à capter le plus de richesse possible aux dépens du peuple, les deuxièmes conditionnant notre survie aux respects de ses lois, nos libertés pourraient complètement disparaître.
Finalement, cette concentration de la richesse induite par le progrès nous pousserait-elle (malgré nous ?) vers un modèle davantage communiste ? Toute la question serait dès lors de savoir si ce sera dans sa version utopique (régime démocratique où toutes les richesses sont partagées équitablement) ou dystopique (régime autoritaire où les États contrôlent les richesses et asservissent la population).
Bien sûr, ces futurs relèvent aujourd’hui plus de la science-fiction que d’autres choses. Un million de barrières technologiques et physiques se dressent devant un tel avenir, et mon avis est qu’il est extrêmement probable que nous nous arrêtions avant ça. Il faudrait déjà régler la question du changement climatique et de l’impact matériel de la société et de la croissance économique, ce qui est loin d’être acquis.
Mais c’est justement parce que ces progrès nous emmènent dans une direction qui semble relever de la science-fiction que je pense qu’il est essentiel de réfléchir ensemble à la manière dont nous voulons les encadrer.
Au fond, la question à nous poser est : dans quelle société souhaitons-nous vivre ?
Résumons
Les craintes que le progrès technologique ne détruise plus d’emplois qu’il n’en crée ne datent pas d’hier, mais jusque-là, l’histoire leur a donné tort. Cette première vague d’intelligence artificielle devrait donner le même résultat.
À court terme, l’enjeu de l’adoption de l’IA est la dislocation du marché du travail. Une adoption trop rapide et un manque d’accompagnement et de re-formation pourraient conduire à un chômage technologique important et à un impact économique et social négatif. Encadrer et planifier la transition est donc essentiel.
À moyen terme, l’enjeu est davantage de savoir si cette technologie va continuer d’accroître les inégalités, en concentrant la richesse dans un petit nombre d’entreprises et de professionnels “stars” et en forçant des travailleurs à se réorienter vers des emplois à plus faible valeur ajoutée. Il est crucial que les États mettent en place des politiques qui permettront de bien redistribuer la richesse produite.
À plus long terme, l’IA pourrait complètement chambouler le fonctionnement et l’organisation de nos sociétés. L’enjeu est de se poser la question de la société dans laquelle nous voulons vivre. Une coordination importante entre États, entreprises, recherche, et société civile est essentielle.
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Why Are There Still So Many Jobs? The History and Future of Workplace Automation. David Autor.
La polarisation des emplois : une réalité américaine plus qu’européenne ? France Statégie. https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/11_dt_polarisation_emploi_24082015_final.pdf
Mishel L., Schmitt J. et Shierholz H. (2013), « Assessing the job polarization explanation of growing wage inequality », Economic Policy Working Paper, janvier.
Dustmann C., Ludsteck J. et Schönberg U. (2009), « Revisiting the German wage structure ». The Quarterly Journal of Economics, 124(2), p. 843-881.