🧠 Gymnasium #1 - Le temps d'apprendre.
Salvador Dalí, Jean d'Ormesson, et Confucius, s'en prennent au temps.
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Ce que nous vous proposons avec Gymnasium, c’est un point culture pour vous aérer l’esprit (et briller en soirée). Cette newsletter est indépendante de Jeudredi, que vous retrouverez jeudi prochain dans vos boîtes mail.
Et nouvelle année oblige, le temps sera à l’honneur dans cette première édition de Gymnasium.
Comme toujours n’hésitez pas à commenter et à nous faire part de vos retours. Et si ce n’est pas déjà fait, inscrivez-vous !
Bonne lecture !
✒️ La citation de la semaine
Il y a des jours, des mois, des années interminables où il ne se passe presque rien. Il y a des minutes et des secondes qui contiennent tout un monde.
Voyez comme on danse – Jean d'Ormesson
Ces mots prennent sens dans ce roman autobiographique où l’auteur, face à sa tombe, remonte le fil d’une vie où l’Histoire s’est mêlée à l’histoire.
Mais pour nous, dont le bois du cercueil se dresse encore fièrement et dont les minutes appellent à être remplies, ils interrogent :
Faut-il accepter qu’il puisse se passer presque rien ? Et si oui, pour combien de temps ? Un jour, un mois, une année ?
Et si la perspective, et non le temps, était ce qui compte vraiment ici ? Lorsque nous nous retournerons sur notre vie, nous ne pourrons combattre la relative importance de ces minutes et de ces secondes qui l’ont sculptée. Mais la regardant de face, libre à nous de nous enivrer de presque rien. Qui sait, peut-être que les minutes et les secondes qui contiennent ces rires, ces pensées, et ces sourires, seront celles qui finissent par contenir tout un monde ?
📖 Le concept de la semaine : xiào
Notre président l’a annoncé, 2023 sera l’année de la réforme des retraites. Et comme nous vous préparons un long format pour vous aider à tout comprendre sur le sujet, nous nous sommes dit que cela serait pas mal de s’échauffer avec un point philosophique.
Alors que les sociétés occidentales sont souvent critiquées d'âgisme, il est de notoriété publique que la société Chinoise voue un grand respect aux personnes âgées. Un respect qui se traduit par une statistique frappante : 41% des plus de 60 ans en Chine vivent avec un de leurs enfants, contre ~15% en France.
Mais alors d’où vient ce respect des anciens chez nos amis Chinois ?
La piété filiale (xiào), première vertu du Confucianisme 👲
Tirée des enseignements de Confucius (6e B.C.), cette philosophie (qui, de manière remarquable, a enduré comme doctrine dominante en Chine depuis son adoption il y a plus de 2000 ans) est un art de vivre harmonieusement reposant essentiellement sur des préceptes moraux. C’est une philosophie qui se préoccupe de la manière dont nous sommes supposés nous comporter et qui s'intéresse uniquement à ce qui relève de notre expérience sensible (si vous voulez briller, on dit qu’elle ne présente pas de “métaphysique”).
La première des vertus du confucianisme est la piété filiale (xiào) : c’est la vertu par laquelle chacun remplit ses obligations familiales et respecte ses parents et aînés. Pour Confucius, elle est considérée comme “la racine de toutes les vertus et la première source de l’enseignement” car l’amour et le respect de nos parents montrent dans le cœur ce que les autres hommes sont pour nous et ce que nous devons être pour eux. Elle est nécessaire à l’atteinte de la sagesse, car cette dernière découle d’une compréhension des obligations et des responsabilités morales que l'on a envers les autres et d’une habilité à agir de manière juste en conséquence.
Avec de tels principes infusant dans la société pendant plus de 2000 ans, on comprend mieux l’attitude des Chinois envers leurs aïeux (et ce malgré le rejet du Confucianisme par les réformateurs culturels chinois puis par le Parti Communiste Chinois au 20e siècle).
Ce que l’on ne comprend pas mieux en revanche (et qui vous empêchera sûrement de dormir ce soir si on ne vous l’explique pas) c’est où Confucius a-t-il pu aller chercher cette idée farfelue, si farfelue que même nos illustres penseurs antiques n’y ont jamais pensé ?
It’s the contexte historique, stupid ⚔️
S’il y a bien quelque chose qui préoccupait Confucius, c’était la stabilité et l’harmonie de la société. Et pour comprendre pourquoi, il faut comprendre l’époque dans laquelle Confucius vivait : une époque de forte instabilité où la dynastie Zhou, ayant perdu son rôle unificateur et pacificateur, était dans l’incapacité d'empêcher les guerres incessantes entre les différents royaumes de l’empire.
À travers une étude studieuse de l’histoire, Confucius découvrit comment, dans les siècles précédents, la piété filiale avait assuré la stabilité de l’Empire à encourageant des comportements vertueux. Développant cette doctrine pour la rendre pertinente à son temps, Confucius proposa qu’en ressuscitant l’innocence et la bonté des mœurs dans le cœur des hommes, l’Empire retrouverait la stabilité et l’harmonie d’antan. Une bonté qui doit nécessairement commencer au sein même des familles pour pouvoir s’étendre aux Royaumes tout entier, et faire que chaque homme sert son Prince comme il sert son père.
Pour Confucius : une société où tout le monde respecte et honore ses parents est une société où tout le monde se respecte et s’honore, car qui peut vouloir la guerre à un homme qui honore ses parents comme nous honorons les nôtres ?
Pourquoi c’est intéressant 📝
Parce que Confucius semblait penser que la transformation d’un grand système (la société) commençait par le changement de la plus petite de ses parties (la famille). Et c’est un conseil qu’on retrouve très souvent : pour faire quelque chose de grand, commencez petit.
Parce que cette notion de respect à l’autorité et le fait qu’elle ait perduré plus de 2000 ans n’y sont peut-être pas pour rien dans l’acceptation d’un gouvernement autoritaire par la population chinoise.
Enfin, si vous avez pour ambition de définir la philosophie occidentale des 2000 prochaines années mais ne savez pas par où commencer, essayez de chercher de l’inspiration dans des livres d’histoire …
👨🎨 L’œuvre de la semaine
La Persistance de la Mémoire - 1931
En Bref
Cette petite toile, peinte en 1931, est une des œuvres les plus célèbres du Salvador Dalí. Aussi connue sous le nom Les Montres molles, cette huile sur toile met en scène le temps (une des obsessions et angoisses de Dalí) et questionne son inéluctable avancée.
L’Histoire
Dans son œuvre autobiographique La Vie secrète de Salvador Dali (1952), le peintre surréaliste explique que l’idée des montres molles lui est venue après avoir observé un camembert mollissant dans son assiette, un soir où, emprunt d’une forte migraine, il laissa son épouse et ses amis aller seuls au cinéma. Complétant le paysage désertique de Portlligat, déjà peint, en autant de temps que dura la séance de cinéma, Dalí eu tout juste le temps de finir l’œuvre pour voir sa femme Gala rentrer et déclarer : “personne ne peut l’oublier après l’avoir vu”.
La Symbolique
Prenez une minute pour regarder l'œuvre, analyser ce qu’elle vous procure, et réfléchir à sa symbolique. Que représentent les trois montres coulantes et celle solide, juchée de fourmis ?
Dalí n’ayant pas laissé de notice de lecture, une multitude d’interprétations sont possibles. On retiendra celle rédigée par Anna Otero :
Il est évident que Dalí évoque ici l’une des préoccupations les plus artificielles et abstraites inventées par l’homme : l’obsession de contrôler le temps par les heures que marque la montre… Dalí déforme les instruments même qui doivent nous informer sur le temps et il en annule la fonction. Toutes les montres marquent une heure différente et la seule qui maintient sa rigidité initiale est peinte retournée sur l’envers et infestée de fourmis… Dalí revendique l’absence de temps, par laquelle nous goûtons bien davantage à sa présence éternelle. Il juxtapose avec élégance l’infini d’une scène comme le paysage, avec des objets qui nous rappellent à chaque instant la fugacité des instants et des choses ; tout est éphémère et fuyant. C’est cette volonté de demeurer dans l’hier et de se souvenir d’un passé sans contrôle du temps qui finit par donner son titre au tableau : La persistance de la mémoire.
Le Contexte
Le surréalisme est un mouvement poétique et artistique qui repose sur la conviction que la création et l’expression doivent reposer sur des associations qui transcendent la rationalité et qui reposent sur le subconscient, le rêve, et l’automatisme (une création non dirigée par la conscience). Il est fondé en 1924 par l’écrivain Français André Breton, qui, passionné par la psychanalyse de Freud, en retire la conviction du lien profond entre monde réel et le monde des rêves.
Pour Breton, le surréalisme était bien plus qu’un mouvement artistique : c’était un mouvement profondément politique visant à libérer les peuples de l’oppression, se situant entre anarchisme et marxisme. C’est ce qui le poussa à excommunier Dalí du mouvement en 1939, ce dernier considérant la lutte politique des surréalistes comme une anecdote de l'histoire. (Note : en plus d’être extravagant et de se moquer de la politique, Dalí avait un léger problème de rêve érotique de fillettes et était obnubilé par Hitler, ce qui n’aidait pas son cas).
Ce que vous ne saviez (peut-être) pas
La forme blanche cadavérique allongée sur le sable n'est autre qu'un autoportrait déformé du peintre, une forme récurrente et obsessionnelle de Dalí, qu’il nomme “Le Grand Masturbateur”.
20 ans plus tard, Dalí réinterprétera cette toile en peignant la Désintégration de la persistance de la mémoire, une œuvre reprenant les mêmes éléments mais les traitant avec une approche scientifique, inspiré par les principes de mécaniques quantiques et relativistes de Heisenberg, son “nouveau père”.
Freud considérait les surréalistes qui l’avaient érigé comme saint patron pour “des fous absolus” jusqu’à sa rencontre avec Dalí en 1938, qui lui fit changer d’avis devant son incroyable technique du peintre et l’intérêt analytique de ses œuvres.
Pour aller plus loin :
Wikipédia : Salvador Dalí, La Persistance de la Mémoire, Le Surréalisme
Artsper : Comprendre “La Persistance de la mémoire”
Étude de l’œuvre
Quelques analyses intéressantes